Isabelle GAYE - Avocat spécialiste en Droit rural et Entreprises agricoles

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La contestation d’un congé en justice n’a pas d’effet suspensif

ACTUALITÉS JURISPRUDENTIELLES – SEPTEMBRE 2018

 

BAIL RURAL – CONGÉ POUR AGE – CONTESTATION DU CONGÉ EN JUSTICE – DATE D’EFFET DU CONGÉ – DECES DU PRENEUR – TRANSMISSION DU BAIL – CESSION DU BAIL

  

  • 3ème civ. 18 janvier 2018, n° 16-22495 :

 

La contestation en justice d’un congé pour reprise du bailleur du fait de l’âge du preneur a-t-elle un effet suspensif de la date d’effet dudit congé ?

 

C’est une des trois questions que la troisième Chambre civile de la Cour de Cassation a été amenée à traiter dans cette décision du 18 janvier 2018 qui opposait bailleur et preneurs dans un conflit judiciaire de plusieurs années.

En l’espèce le bailleur avait délivré congé à ses deux co-preneurs en raison de leur âge en vertu de l’article L411-64 du Code rural et de la pêche maritime.

Ceux-ci, qui auraient eu 76 ans à la date d’effet du congé, ne pouvaient en conséquence pas solliciter la prorogation du bail instaurée par la loi d’avenir du 13 octobre 2014, qui permet au preneur dans cette hypothèse de solliciter le report de plein droit de la date d’effet du congé à la fin de l’année culturale où il aura atteint l’âge lui permettant de bénéficier d’une retraite à taux plein.

Cependant, ce congé mentionnait dans ses motifs que celui-ci était délivré « à titre conservatoire » pour la date du 10 novembre 2013, dans l’attente d’une décision de justice à intervenir relative à l’autorisation sollicitée par les co-preneurs de céder le bail dont ils étaient titulaires, à leur fils.

La co-preneuse, est malheureusement décédée le 09 avril 2014, soit postérieurement à la date d’effet du congé mais avant que la juridiction paritaire ne se prononce sur la validité dudit congé.

La question qui se posait à la Cour de Cassation était donc de savoir si le fils des co-preneurs était recevable à solliciter la cession du bail à son profit à la suite du décès de sa mère alors que la date d’effet du congé était arrivée à échéance ?

Autrement dit, la contestation du congé en justice aurait-t-elle un effet suspensif ?

La Cour de Cassation a répondu que non :

« Le congé pour cause d’âge avait été délivré pour le 10 novembre 2013, date d’effet de cet acte, et Francine D., (copreneuse) était décédée le 9 avril 2014, soit postérieurement à l’expiration du bail, » de sorte qu’il devait en être déduit que « les consorts D. (ayants droit de la copreneuse) devenus sans droit ni titre en l’absence de prorogation du bail, n’étaient pas fondés à solliciter son transfert à l’un d’eux ».

L’article L 411-64 précité permet au preneur évincé en raison de son âge de céder son bail à son conjoint, au partenaire avec lequel il est lié par un pacte civil de solidarité, participant à l’exploitation ou à l’un de ses descendants ayant atteint l’âge de la majorité ou ayant été émancipé, dans les conditions prévues à l’article L411-35 du Code rural et de la pêche maritime.

Dans cette hypothèse le bénéficiaire de la cession aura droit au renouvellement du bail.

Cependant pour que cette cession puisse intervenir en accord avec le bailleur ou le cas échéant sous autorisation du Tribunal paritaire des baux ruraux, encore faut-il que le bail ne soit pas entre-temps arrivé à échéance.

Soulignons que ce n’est pas le décès de la co-preneuse qui avait mis fin au bail car l’article L411-34 du Code rural et de la pêche maritime dispose expressément qu’en cas de décès du preneur, le bail continue au profit de son conjoint, du partenaire avec lequel il est lié par un pacte civil de solidarité, de ses ascendants et de ses descendants participants à l’exploitation ou y ayant participé effectivement au cours des cinq années antérieures au décès.

Ainsi si la co-preneuse était décédée avant l’expiration du bail, son fils qui remplissait semble-t-il en l’espèce la condition de participation à l’exploitation durant 5 ans car il était associé du GAEC bénéficiaire d’une mise à disposition du bail, aurait bénéficié d’une transmission successorale du bail conformément à l’article L 411-34.

 

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Les deux autres questions posées à la Cour de Cassation dans cette affaire aux faits complexes, concernaient les modalités de la reprise par le bailleur à l’expiration d’une période triennale d’une part et d’autre part des conditions de la cession d’un bail que la Cour de Cassation est conduite à très fréquemment envisager.

En vertu de l’article L411-64, le bailleur peut limiter le renouvellement du bail rural à l’expiration de la période triennale au cours de laquelle le preneur atteindra l’âge de la retraite retenue en matière d’assurance vieillesse des exploitants agricoles.

En l’espèce les ayants droit des co-preneurs contestaient au bailleur la possibilité de faire application de cette disposition dès lors qu’au moment du renouvellement du bail les co-preneurs avaient déjà atteint l’âge de la retraite.

La Cour de Cassation a rejeté ce moyen et a rappelé que « le bailleur peut se prévaloir de son droit de limiter le renouvellement du bail à l’expiration de la période triennale au cours de laquelle le preneur atteint l’âge de la retraite, quand bien même cet événement serait déjà intervenu lorsque le bail s’est renouvelé ».

Il s’agit la d’une confirmation de jurisprudence.

 

Sur le troisième moyen de cassation quant à la cession du bail, de jurisprudence constante, le Tribunal paritaire saisi recherche si l’opération ne risque pas de nuire aux intérêts légitimes du bailleur (cf. Cass. 3ème civ., 9 janvier 1991, numéro 89 12. 227 ; Cass. 3ème civ., 22 juillet 1992, numéro 91 18. 332 ; Cass. 3ème civ., 1er juillet 1998, numéro 96 19. 459).

L’intérêt légitime du bailleur est apprécié au regard de la bonne foi du cédant et des conditions de mise en valeur de l’exploitation par le cessionnaire éventuel.

Ainsi l’autorisation de cession sera refusée si le preneur (cédant) n’est pas de bonne foi.

La bonne foi s’apprécie à l’aune du respect par le preneur des obligations résultant du bail telles que manquement à l’obligation d’entretien, abattage d’arbres, retards réitérés dans le paiement des loyers, sous-location prohibée…

En l’espèce il était reproché à la co-preneuse solidaire un défaut de participation effective et personnelle à l’exploitation  agricole dès lors qu’elle n’était pas membre du GAEC dans lequel étaient associés le père et le fils, GAEC bénéficiaire d’une mise à disposition du bail.

Pour tenter d’échapper à ce moyen imparable, les preneurs prétextaient de manière quelque peu alambiquée que la cession du bail ne pouvait être refusée pour des faits commis antérieurement à la transmission du bail de l’article L411-34 (c’est-à-dire celle issue du décès).

La Cour de Cassation a rejeté ce moyen en rappelant que la bonne foi du preneur doit s’apprécier au jour de la demande de cession du bail.

 

Toulouse, le 04 septembre 2018

Isabelle GAYE

Avocat à la Cour