Isabelle GAYE - Avocat spécialiste en Droit rural et Entreprises agricoles

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Un bail à ferme de 9 ans dérogatoire du statut des baux ruraux

Congé fondé sur l’âge du preneur et renouvellement du bail rural à long terme

Un bail renouvelé pour 9 ans dérogatoire du régime commun statutaire

A propos de l’Ordonnance n° 2006-870 du 13 juillet 2006.

 

Cass. 3ème civ., 15 novembre 2018, n° 17-16.171, 17-16.172 et 17-16.173

 

BAIL RURAL A LONG TERME – AGE DE LA RETRAITE DU PRENEUR – DATE DE FIN DU BAIL RENOUVELÉ

 

Le bail rural à long terme est un bail à ferme qui répond à un régime spécifique défini par le chapitre VI du Statut de fermage et du métayage du Code rural et de la pêche maritime.

 

Il est destiné à prodiguer au fermier qui s’installe confiance dans le caractère pérenne du lien contractuel qui l’unit à son bailleur et dès lors être libéré de l’inquiétude de voir son foncier lui être retiré prématurément.

 

Par trois arrêts du 15 novembre 2018, la 3ème Chambre civile de la cour de cassation a eu l’occasion d’appliquer les règles relatives au renouvellement du bail rural à long terme lorsque le preneur a atteint l’âge de la retraite à l’expiration du bail initial.

 

Dans cette hypothèse en effet, le régime de limitation de la durée du renouvellement n’est pas le même selon que le bail long terme initial a expiré avant ou après l’entrée en vigueur de l’Ordonnance n° 2006-870 du 13 juillet 2006.

 

En pratique, cela peut conduire à l’invalidation d’un congé pour refus de renouvellement en raison de la durée erronée laissée au preneur pour libérer les parcelles.

 

Le bail à long terme est conclu pour une durée d’au moins dix-huit ans et est renouvelable par période de neuf ans dans les conditions de l’article L 411-46 du Code rural et de la pêche maritime.

 

Le bailleur qui entend s’opposer au renouvellement du bail doit notifier congé au preneur dans les conditions de l’article L 411-47.

 

Cependant, lorsque le preneur a atteint l’âge de la retraite à l’expiration du bail initial, l’article L 416-1 organise un régime particulier de fin de bail car dans cette hypothèse, chacun des contractants peut refuser le renouvellement du bail sans avoir à respecter les conditions définies par le statut du fermage, à savoir les articles L 411-46 à L 411-68 sur le droit de renouvellement et le droit de reprise et en particulier, l’article L 411-64.

 

Il suffit de donner congé par exploit d‘huissier, au moins 18 mois à l’avance.

 

Si le preneur doit atteindre l’âge de la retraite dans moins de 9 ans, le bail se renouvellera mais la durée de ce renouvellement sera limitée car chacune des parties pourra mettre fin au bail renouvelé à l’expiration de chaque période annuelle à partir de laquelle le preneur aura atteint l’âge de la retraite.

 

Ainsi, ce bail de 9 ans qui suit un bail rural à long terme, organise un régime de fin de bail pour âge du preneur, différent de celui édicté par le régime statutaire à l’article L 411-64 du Code rural et de la pêche maritime.

 

Le régime de droit commun en effet, dispose que le bailleur peut limiter le renouvellement à l’expiration de la période triennale au cours de laquelle le preneur atteindra cet âge (et encore, uniquement si la superficie de l’exploitation mise en valeur par le preneur excède celle de l’exploitation de subsistance).

 

Toutefois, la dispense d’application des articles L 411-46 à L 411-68 et donc également de l’article L 411-64 du Code rural et de la pêche maritime, suppose que le bail rural à long terme se soit renouvelé après l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 13 juillet 2006 relative au statut du fermage et modifiant le code rural.

 

C’est ce que la Cour de cassation a rappelé dans 3 arrêts rendus le 15 novembre 2018.

 

En l’occurrence dans l’arrêt portant le numéro 17-16173, les preneurs s’étaient vus consentir deux baux à ferme d’une durée de 18 ans par actes authentiques des 21 juillet et 9 novembre 1976 d’une part et du 30 novembre 1976 d’autre part.

 

Ces baux s’étaient renouvelés le 1er octobre 1994, puis le 1er octobre 2003, soit avant la date de publication de l’ordonnance du 13 juillet 2006.

 

Mais qu’en était-il du renouvellement survenu le 1er octobre 2012 ?

 

Les bailleurs d’invoquer que le bail renouvelé le 1er octobre 2003, était en cours lors de la publication de l’ordonnance dont les dispositions lui ont été immédiatement applicables.

 

La cour de cassation n’a pas suivi cette argumentation.

 

Dès lors que le bail à long terme initial avait vu son échéance intervenir antérieurement à l’entrée en vigueur de l’ordonnance, ses renouvellements successifs, quels qu’ils soient, demeuraient soumis aux dispositions de droit commun des baux de 9 ans.

 

Ils ne pouvaient donc prendre fin qu’à l’expiration de la période triennale au cours de laquelle la preneuse aurait atteint l’âge de la retraite.

 

Ainsi l’ordonnance du 13 juillet 2006 qui prévoit que le bail renouvelé reste soumis aux dispositions particulières des baux à long terme, est sans effet sur le bail renouvelé avant la date de sa publication ainsi que sur ses renouvellements successifs, même ceux postérieurs à ladite ordonnance.

 

Seule compte la date d’expiration du bail rural à long terme initial.

 

Ces renouvellements demeurent soumis aux seules dispositions de droit commun des baux ruraux de neuf ans.

 

Dans un moyen unique et au visa des articles L 411-64 et L 416-1 du Code rural et de la pêche maritime, la Cour de cassation a ainsi posé prestement que le bail renouvelé issu d’un bail à long terme échu avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 13 juillet 2006, relève du régime commun statutaire.

 

Le praticien retiendra ainsi qu’il existe non pas un mais deux types de bail à ferme de 9 ans, celui issu du droit commun du bail rural et celui issu d’un bail rural à long terme renouvelé…dès lors que ce dernier est venu à échéance postérieurement à l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 13 juillet 2006.

 

Toulouse, le 4 avril 2019

Isabelle GAYE

Avocat à la Cour