Isabelle GAYE - Avocat spécialiste en Droit rural et Entreprises agricoles

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Paiement des fermages par un GAEC et Bail rural

Mise à disposition d’un GAEC – Solidarité du paiement du fermage – Exclusion du statut du fermage

Cass. Civ 3ème, 21 décembre 2017, n° 16-21570

L’article L323-14 du code rural et de la pêche maritime définit le régime de la mise à disposition d’un bail rural au profit d’un GAEC.

Il dispose que le preneur à ferme qui adhère à une telle société peut faire exploiter par ce groupement tout ou partie des biens dont il est locataire pour une durée qui ne peut être supérieure à celle du bail dont il est titulaire.

Il en avise alors, par lettre recommandée, avec accusé de réception, le propriétaire.

Cet article dispose expressément que cette opération ne donne pas lieu à l’attribution de parts d’intérêts au profit du preneur, lequel reste seul titulaire du bail.

Les droits du bailleur ne sont pas modifiés.

Néanmoins le GAEC est à partir de la mise à disposition solidairement tenu avec le preneur de l’exécution des clauses du bail. On parle de solidarité du paiement du fermage entre le GAEC et le preneur associé qui a mis à disposition à son profit les parcelles dont il est titulaire en vertu d’un bail à ferme.

Dans cet arrêt, les parents de M. A avaient mis à la disposition du GAEC dans lequel ils étaient associés avec leur fils, les parcelles dont ils étaient titulaires au titre d’un bail rural.

Ceux-ci se sont retirés du GAEC et leur fils à continué d’exploiter lesdites terres sans toutefois bénéficier d’une autorisation de cession de la part du bailleur.

Leur fils avait saisi le tribunal paritaire des baux ruraux en revendication du Statut du fermage à son profit mais s’était vu rejeté en cette demande par le juge du fond.

C’est la raison pour laquelle le GAEC sollicitait également la reconnaissance d’un bail rural à son profit.

Pour ce faire, le GAEC invoquait le règlement des fermages, condition nécessaire de l’article L 411-1 du Code rural et de la Pêche maritime.

Or en vertu des règles précitées, le paiement par le GAEC du fermage et l’acceptation par le bailleur de ce paiement ne pouvaient suffire à établir l’existence d’un bail rural au profit du GAEC des lors que ce paiement constituait en réalité pour lui une obligation solidaire.

C’est la raison pour laquelle la Cour de Cassation a rappelé que le paiement des fermages par un GAEC ne le rendait pas titulaire d’un bail rural en ces termes :

« Mais attendu qu’ayant, par motifs propres et adoptés, retenu que les parents de M. À… était titulaire d’un bail rural sur les terres qu’ils avaient mises à la disposition du GAEC et qu’il n’était établi ni que les règlements effectués par celui-ci soient intervenus postérieurement au départ des preneurs ni que le bailleur ait eu connaissance de cet état de fait, la cour d’appel, qui n’a ni violé les articles 4 et 16 du code de procédure civile, ni privé sa décision de motifs, ni fondé celle-ci sur un motif hypothétique, l’a légalement justifiée ».

Le pourvoi du GAEC a ainsi été rejeté et celui-ci condamné au paiement des dépens.

Rappelons qu’en vertu des dispositions de l’article L411-35 du Code rural et de la pêche maritime, dès lors que les associés preneurs à bail rural s’étaient retirés du GAEC, la poursuite de l’exploitation par le GAEC ou par le fils associé unique du GAEC, pouvait constituer une cession prohibée.

Certes en l’espèce le bailleur n’avait pas précisément subi de préjudice puisqu’il ressort des motifs de l’arrêt que le fermage avait continué à être réglé, nonobstant le retrait des preneurs.

Néanmoins le fait que le consentement préalable du bailleur n’ait pas été sollicité pour la poursuite de l’exploitation constituait un manquement aux obligations nées du contrat, lequel pouvait justifier le refus de le céder.

L’autorisation tacite du bailleur aurait pu être invoquée par l’exploitant du fait de la perception des fermages par le bailleur lesquels auraient pu qualifier les actes non équivoques manifestant l’agrément du cessionnaire par le bailleur ( cf. Cass. soc., 24 mars 1958 : Bull. civ. IV, n° 441 ; Cass. 3e civ., 2 déc. 1975 : Bull. civ. III, n° 353 ; Cass. soc., 26 janv. 1967 : Bull. civ. IV, n° 84 ; Cass. 3e civ., 5 avr. 2011, n° 10-17.796 ; Cass. 3e civ., 30 sept. 2014, n° 13-20.420).

Cependant, force est de constater que la jurisprudence se montre désormais rigoureuse sur ce point et n’admet pas qu’une attitude purement passive du bailleur puisse être considérée comme significative. Elle ne caractérise pas une manifestation claire et non équivoque d’agrément (cf. Cass. 3e civ., 5 mars 1997, n° 95-13.135 ; Cass. 3e civ., 16 janv. 2002, n° 00-17.696, n° 35 P + B ; Cass. 3e civ., 27 mai 2003, n° 02-11.227 : RD rur. 2004, act., p. 5, obs. B. Grimonprez ; Cass. 3e civ., 23 mars 2010, n° 09-12.549 ; Cass. 3e civ., 30 sept. 2014, n° 13-20.419).

La cession implique en effet la bonne foi dans l’exécution des obligations issues du bail.

C’est vraisemblablement la raison pour laquelle l’associé du GAEC d’un côté et le GAEC de l’autre ont vainement tenté chacun de leur côté de se placer sur le terrain de la revendication du bail rural et non pas sur celui de la cession, car ils savaient que ce dernier terrain était beaucoup plus glissant car pouvant mener directement à la résiliation du bail en application des articles combinés L 411-31-II-1° et L 411-35 du Code rural et de la pêche maritime, pour défaut d’agrément préalable du bailleur.

Toulouse, le 14 juin 2018
Isabelle GAYE
Avocat à la Cour